L’histoire vraie de Joseph Joanovici, un réfugié juif roumain illettré devenu millionnaire qui a collaboré avec les nazis, reçoit un traitement cinématographique exaltant dans ce roman graphique de Nury (La mort de Staline). Poursuivant sa concentration sur les recoins inhabituels de l’histoire, Nury enroule tout, de la résistance française à l’antisémitisme post-Dreyfuss et à l’éthique du profit de la guerre dans ce récit occupé et librement romancé.
D’abord vu comme un enfant se cachant d’un pogrom cosaque en 1905, Joanovici apparaît plus tard en 1947 à Paris, poursuivi par l’intelligence domestique. Le récit qui saute dans le temps remonte aux années 30, lorsque Joanovici est un marchand de roues agité faisant fortune en tant que magnat de la ferraille; puis au milieu de la guerre, quand il fait affaire avec les nazis pour survivre. Joanovici travaille également avec la Résistance et sauve les Juifs des camps. Mais dans une tournure cruelle, après la guerre, il est vilipendé en tant que collaborateur et traqué par un juge obsédé. L’art poli et noirâtre offre un éclat dramatique élevé, mais le tracé trop noué de Nury nécessite trop de démêlage. Sa critique de l’hypocrisie d’après-guerre est émoussée par une caractérisation plate de Joanovici, dont la bravoure apparaît comme un simple entêtement. Malgré une vision quelque peu superficielle des motivations, Nury illustre de manière frappante comment le temps de guerre laisse les victimes et les agresseurs entre les mains sales.
Par Fabien Nury et Sylvain Vallée.